La fin de mon pèlerinage du sauna se profile enfin. Ma dernière destination est le sanctuaire du sauna de Nagoya : Wellbe Sakae. Tout amateur sérieux de sauna au Japon a entendu ce nom au moins une fois. On dit que c’est ce qui se rapproche le plus du sauna finlandais authentique. À la gare de Shizuoka, je monte dans un shinkansen pour Nagoya. Environ une heure plus tard, j’arrive à destination. Le touriste lambda, émerveillé par le quartier ultra-urbain autour de la gare, filerait vers des lieux « instagrammables » ou irait déguster un miso-katsu ou un hitsumabushi. Moi, c’est autre chose. À peine arrivé, je saute dans un taxi et annonce : « Wellbe Sakae, s’il vous plaît ». Le chauffeur me lance : « Vous avez la tête d’un passionné de sauna ». Alors je fanfaronne : « Oui, j’adore. Je suis en road trip sauna : Kobe Sauna, Ogaki Sauna, et Sauna Shikiji aussi ». Réponse tiède : « Ah, très bien ». Il ne connaît visiblement pas. Je le croyais confrère… Dix minutes plus tard, me voici devant Wellbe Sakae. La façade et l’entrée sont exactement comme dans la série Sa-dō. Tout excité, je photographie l’extérieur. Enregistré, je file aux vestiaires. En un éclair, me voilà nu, direction l’espace bains. Me voici devant la porte. Au-delà, c’est la Finlande. Je respire profondément pour calmer l’excitation et j’ouvre. À droite, la grande sauna ; à gauche, un bain froid à 12 °C. Quelques pas encore, et je reste bouche bée. Au-delà de la « sauna de la forêt », une véritable forêt finlandaise s’étale. Dans cette lumière feutrée s’étend une « forêt » décorée de bouleaux et de vihta ; plusieurs chaises longues permettent de pratiquer une « aération intérieure ». Le parfum du sous-bois flotte — j’ai l’impression d’atteindre le totonou avant même d’entrer en sauna. Je me ressaisis, me lave, et commence par la sauna de la forêt. De petites fenêtres laissent filtrer un filet de lumière, l’éclairage est minimal. Aucune télévision, aucune musique : un espace pour se confronter pleinement à soi. Coup de chance : l’horaire coïncide avec le check-out des clients hébergés, j’ai la sauna pour moi seul. Dans cet écrin parfait, je suis seul. Je ferme les yeux et ramène l’attention au-dedans. La chaleur est douce, confortable. Bientôt la sueur perle, le cœur s’emballe. C’est le moment de l’auto-löyly : un peu d’eau sur les pierres, la vapeur fuse. L’humidité grimpe d’un coup, la sueur ruisselle. Il fait très chaud, mais c’est exquis. Une bonne sauna, c’est une sauna « moelleuse » : même dans la chaleur, on y goûte le plaisir. À la limite, je file au bain à 12 °C. Saisissant. Le corps, chauffé dans la forêt, refroidit instantanément. Après le froid, je me pose dans la forêt finlandaise. Dans cet espace saturé des senteurs de vihta et de bouleau, je m’allonge, attentif aux battements du cœur et aux sensations de la peau. Le moment de béatitude arrive. En humant la forêt, je repasse mon pèlerinage en mémoire et le bonheur s’intensifie. Je suis complètement dedans, et pourtant ce n’est que le premier set. J’ai envie d’explorer les autres saunas. Deuxième set : cap sur la grande sauna. Le poêle est immense — sans doute une pièce sur mesure. Un aufguss là-dessus doit envoyer des vagues de chaleur somptueuses. La grande sauna de Wellbe Sakae propose un espace pour transpirer allongé. Je m’y installe. De nouveau, c’est pour moi seul. Comme dans un bain de pierre, je profite en position allongée, parfaitement détendu. Comme je suis d’ordinaire assis, la sensation est nouvelle. Tout le corps se réchauffe de façon homogène. Peut-être parce que la chaleur est si douce, je parviens à rester relax même dans le four. Le deuxième set s’achève par le bain à 12 °C, puis repos dans la forêt. Au premier passage, je ne l’avais pas noté, mais le fond de chants d’oiseaux est d’un apaisement délicieux. La forêt reconstituée, ses odeurs et ses sons affûtent les sens. C’est peut-être ma plus belle séance. Heureux d’avoir gardé Wellbe Sakae pour la fin. Troisième set : retour à la forêt. Auto-löyly et méditation dans le silence. Mon rythme cardiaque grimpe. J’allais filer au bain froid quand l’Ice Sauna & Cold Bath, juste à côté, attire mon regard : –25 °C dans l’air, 0 °C dans l’eau. Dément. On dit que cela reproduit les conditions finlandaises authentiques. J’hésite, mais où vivre cela, sinon ici, au Japon ? Je me lance. Verdict : cinq secondes et je ressors. Le froid me transperce. Tremper seulement les pieds dans l’eau à 0 °C suffit à donner l’impression que tout le corps va geler. Voilà donc la vraie Finlande… J’ai toujours voulu y faire l’expérience du sauna, mais plonger dans un lac à 0 °C après la séance sera peut-être trop pour moi. Trois sets accomplis. Satisfaction totale — inédit. Ma séance à Wellbe Sakae s’achève. Si j’avais eu le temps, j’aurais dormi ce soir en capsule à Wellbe Sakae et, demain, profité de Wellbe Imaike… Mais le travail m’appelle. À défaut, un repas d’après-sauna d’exception avant de rentrer. Direction Ajidokoro Kanou, adresse mythique où serait né le miso-katsu.

Le miso-katsu chez Ajidokoro Kanou était exquis. Regardez la photo à droite : au-dessus, c’est le miso-katsu. Une côtelette d’une épaisseur folle, gorgée de sauce miso. Peut-être parce que je sors du sauna, mais au premier coup de dent j’ai lâché : « C’est beaucoup trop bon ». Voilà donc le goût authentique de la patrie du miso-katsu… Une séance d’exception à Wellbe Sakae et la spécialité locale en bouche — le miso-katsu. Quelques heures à peine, et pourtant, victoire totale. Taxi de Sakae à la gare de Nagoya, billet de shinkansen pour Shin-Kobe en poche. La fin d’un voyage est toujours douce-amère. Je n’ai pas envie de rentrer. Arrivé à Shin-Kobe, je voudrais tout recommencer depuis Kobe Sauna : y passer la nuit, aller à Ogaki Sauna, à Sauna Shikiji, au Mount Fuji Natural Water SPA Sauna Taka-no-Yu, à Suruga Health Land, et boucler la boucle à Wellbe Sakae. Peut-être ne referai-je jamais une route dorée pareille. Mais tant que je resterai passionné, je reviendrai, et le Japon regorge d’autres saunas formidables. Je ne sais pas combien de temps il me reste, mais tant que je vis, je veux visiter des établissements, vivre des expériences uniques et, un jour, pouvoir partir en me remémorant ces saunas extraordinaires. Dans le train Nagoya–Shin-Kobe, je cherche déjà ma prochaine destination. Sans doute repartirai-je en voyage sauna la semaine prochaine.